« Nous créons du temps » Voilà l’ambition qui anime chaque consultant au sein de Consultis. Une promesse que nous nous efforçons de traduire dans les services que nous prestons. L’idée sous-jacente est qu’il est possible de combattre le temps perdu au sein des organisations, que cette perte de temps soit la conséquence de méthodes de travail non appropriées ou plus généralement d’organisations en situations de dysfonctionnement. Après un travail d’optimisation, le temps libéré est alors mis à profit, par exemple pour développer de nouvelles activités à plus forte valeur ajoutée.
L’ancrage du modèle de la performance
Cette ambition est relativement simple à énoncer et à concevoir, mais elle est également fortement révélatrice d’une époque et marquée culturellement. En cherchant à « libérer du temps », nous nous inscrivons en effet dans la recherche de la « performance ». L’idée est qu’il faut combattre les inefficiences, augmenter la qualité, diminuer les coûts, s’améliorer de façon continue. Ce discours dominant nous le connaissons tous, il imprègne notre « réalité intersubjective »[1], ces façons de voir largement partagées au sein de la société. Beaucoup de managers, d’actionnaires ou encore de consultants s’inscrivent dans ce schéma de pensée qui a contribué à la création d’entreprises hyper-performantes capables de gérer des flux de plus en plus complexes, en proposant des solutions de plus en plus innovantes, à des échelles de grandeur de plus en plus importantes.
Cependant, ce modèle dominant est aujourd’hui remis en question par de nombreux courants sociétaux.
Les limites du modèle dominant
En effet, notre société est depuis de nombreuses années traversée par de multiples courants de remise en question. Qu’il s’agisse de la question de l’égalité des genres, de celle de l’impact climatique de nos modes de fonctionnement, de la question de la diversité, de la question du sens du travail et du besoin de faire évoluer les modes managériaux, etc. Un point commun à l’ensemble de ces courants est de questionner la toute-puissance du mantra de la performance. Ils interrogent les conséquences de notre modèle et invitent à l’équilibrer, quand il ne s’agit pas plus fondamentalement de le renverser.
Vers de nouveaux modes d’organisation
En ce qui concerne les modes d’organisation, une spécialité au sein de Consultis, c’est notamment sous l’effet de ces courants que l’on a vu se développer les politiques de diversité, les règles de parité homme-femme, les politiques RSE ou encore les bilans carbone.
Sur le plan de la théorie des organisations, on pourra faire référence au livre « reinventing organisations »[2]. Cet ouvrage de Frédéric Laloux esquisse une histoire du développement organisationnel par stades successifs. Les organisations « performantes », de type orange, sont présentées comme un modèle encore puissamment ancré, mais modèle du passé néanmoins. Ce modèle serait amené à être remplacé par les organisations « opales » caractérisées une raison d’être évolutive ou encore l’auto-gouvernance.
Enrichir les modèles existants
Chez Consultis, nous avons aussi vu certains des outils et méthodes que nous utilisons évoluer sous ces influences. Citons le cas de la carte stratégique de Kaplan et Norton ; cet outil que nous utilisons dans nos missions de conseil stratégique s’est progressivement enrichi dans le temps pour intégrer des objectifs liés à des notions de service public ou de RSE[3].
En résumé, ces courants exercent une force contraire à la notion de performance à strictement parler et ils invitent les organisations à se repenser.
Performance vs robustesse : un nouveau paradigme
Dans le même ordre d’idée, le biologiste Olivier Hamant déploie sa pensée autour des concepts de « performance » et de « robustesse »[4]. Il définit la performance comme étant la somme de l’efficacité (atteindre ses objectifs) et de l’efficience (avec le moins de moyens possibles) alors que la robustesse concerne la capacité d’une structure à maintenir le système stable malgré les fluctuations. Pour l’auteur, la robustesse devient une nécessité dans un monde de fluctuations et d’incertitudes liées aux multiples crises et tensions au niveau mondial. La robustesse assume une part de sous-performance et mise plutôt sur la diversification, la redondance et la capacité du système à rester souple pour s’adapter à diverses éventualités. A contrario la performance inciterait à se défaire du superflu et à fonctionner en flux tendu[5], dans une logique de forte dépendance, en faisant le pari de la stabilité de l’environnement ; à ce titre la performance ne tolère pas ou peu le grain dans le rouage. Et l’hypothèse d’Olivier Hamant est de dire que ces grains de sable vont se multiplier dans le monde fluctuant qui s’annonce. Les entreprises performantes deviendraient, dans ce monde fluctuant, des colosses au pied d’argile.
Ringard, la performance ?
Olivier Hamant invite donc à ringardiser la performance et à s’intéresser aux initiatives qui mettent la robustesse au cœur de leur préoccupation. Il voit dans ces entreprises robustes, moins performantes mais plus agiles, des modèles d’organisation mieux à même à faire face aux « bouleversements » qui s’annoncent.
L’impact sur le métier de conseil en organisation
Cette réflexion sur la robustesse, il faut l’admettre, est de nature à interroger les certitudes du consultant. La question est de savoir si et comment le consultant en organisation intègre ces courants, une autre question est de savoir si le consultant peut, tout en restant pertinent aux yeux de ses commanditaires, prendre quelques distances par rapport au mantra de la performance.
Nous explorons 3 voies possibles.
Nouvelles perspectives pour le conseil
- Analyser les effets croisés
Cette première voie consiste à ouvrir la perspective dans le travail d’analyse et de recommandation qui fait le cœur de notre métier. Cela signifierait qu’en plus de la dimension opérationnelle que l’on cherche à optimiser, on pourrait se pencher sur les effets croisés que cela a sur les dimensions humaines, culturelles, environnementales ou autre.
A titre d’exemple, nous pourrions nous demander si les solutions de performance que nous recommandons sont de nature à appauvrir ou augmenter :
- La satisfaction au travail.
- la créativité et l’autonomie individuelle,
- la richesse des interactions, le bien-être au travail au sens large.
Ce type de questionnement est d’autant plus porteur qu’un appauvrissement de ces éléments pourrait conduire par voie de conséquence à rendre nos recommandations contreproductives sur le long terme, en engendrant par exemple un désengagement progressif des collaborateurs ou une insatisfaction des clients.
- Explorer les scénarios de rupture :
Il s’agit ici d’explorer des pistes de solution en les examinant à l’aulne de scenarii de rupture. Pour prendre un exemple récemment expérimenté à l’échelle mondiale, on pourrait se demander si l’organisation cible que nous recommandons pourrait, dans une certaine mesure, s’adapter à un nouveau lock down sanitaire. Plus précisément on pourrait évaluer si les changements préconisés améliorent la robustesse de l’organisation par rapport à ce scénario ou si, au contraire, ces changements la fragilisent à ce cas de figure.
- Mettre en place un audit de robustesse :
Olivier Hamant évoque la notion d’audit de robustesse. Un tel audit consisterait à faire le relevé des inefficiences d’une organisation et de se demander si celles-ci contribuent à sa robustesse. L’auteur donne en guise de simple exemple la pause-café qui est une contre-performance caractérisée mais qui est néanmoins utile en ce qu’elle permet de renforcer le lien social au sein de l’entreprise.
Perspectives : performance et robustesse, un équilibre à trouver
Notre métier de consultant nous place au cœur des dynamiques d’organisation, nous découvrons des secteurs et des équipes tous les jours différents, et nous constatons que les problématiques que nous tentons de solutionner sont souvent sources de malaise. Partant de là nous concluons ceci :
- La performance reste essentielle
En effet, vouloir s’attaquer aux inefficiences c’est aussi combattre ces sources d’insatisfaction et de gaspillage. Singulièrement, la recherche d’une certaine efficacité apporte à ceux qui s’investissent dans l’organisation la satisfaction d’être utile.
- La robustesse complète cette approche
La notion de robustesse est fertile car elle invite à une approche plus globale et moins rigide de l’organisation. L’idée de robustesse interroge la place donnée à la recherche de l’efficience et ouvre d’autres voies. Elle invite à tolérer une situation suboptimale pour autant que celle-ci offre en échange une garantie de meilleure adaptation dans un environnement changeant. La recherche de la robustesse peut notamment se pratiquer en se demandant si les moyens de la performance ne concourent pas à fragiliser ou rendre plus dépendante une organisation.
Cette réflexion est donc de nature à élargir le travail du consultant. Selon les priorités fixées par le client et selon la culture de l’entreprise, le consultant pourra enrichir la palette des pistes qu’il propose. Aux notions d’efficacité et d’efficience, il pourra ajouter celle de la robustesse.
[1] Yuval Noah Harari, Sapiens – vol. 2 Les Piliers de la civilisation
[2] LALOUX F., Reinventing Organizations. Vers des communautés de travail inspirées, Diateino, 2015.
[3] The Sustainability Balanced Scorecard – linking sustainability management to business strategy
Figge, Frank;Hahn, Tobias;Schaltegger, Stefan;Wagner, Marcus, Business Strategy and the Environment; Sep/Oct 2002
[4] HAMANT O., Antidote au culte de la performance : La robustesse du vivant, Éditions Gallimard, août 2023, 64 p.
[5] Nous pensons notamment au lean management.
- Repenser le mantra de la performance : entre efficacité et robustesse - 10 février 2025
- Cap sur le salon Municipalia - 6 avril 2022
- Analyste fonctionnel (Medior-Senior) - 13 octobre 2021